http://foncinelebas.free.fr


Le STO en 1943

Saint Laurent la Roche

retour


église de Cesancey

En novembre 1942, la Wehrmacht allignait sur l'ensemble du front de l'Est, 6.300.000 hommes. De septembre 1942 à février 1943, la seule bataille de Stalingrad a éliminé deux fois plus de divisions allemandes que l’ensemble des opérations menées à l’Ouest entre le débarquement et la capitulation. Le général Von Paulus, avait reçu d'Hitler l'ordre de vaincre ou de mourir. Il perdit sur les bords de la Volga, 140000 soldats. L'armée rouge 200000, mais elle avait avec elle un allié puissant qu'elle connaissait : l'hiver. Les russes firent 94000 prisonniers, (seuls 5% reviendront vivants après la guerre).

Pour compenser les lourdes pertes, Hitler envoie au front tous ceux en âge de tenir un fusil. Les femmes ne parviennent pas à les remplacer à l'arrière et l'allemagne a besoin de main d’œuvre. Elle demande 250 000 ouvriers. Au début, elle propose de libérer un prisonnier en échange de 3 jeunes volontaires, mais sans grand succès.

En février 1943 avec la bénédiction de Vichy, les allemands créent le Service du Travail Obligatoire (STO) imposé à tous les jeunes hommes nés en 1920, 1921 et 1922. Ils exigent immédiatement 150 000 ouvriers qualifiés.
L’armée d’armistice a été dissoute fin novembre 1942. Ceux qui n’ont pas de travail sont requis d'office. Le premier mars 1943 je suis recensé. Le 4 mars je passe à Beaufort, une visite médicale où je suis reconnu inapte à la gendarmerie (j’ai des lunettes), mais - sous-entendu - apte au STO.

Mr. Varechon, géomètre, chargé de rajeunir le cadastre de Cesancey, m’emploie quelques semaines pour traîner son double décamètre. Puis une compagnie d’assurance veut bien me charger de vendre des contrats aux cultivateurs du canton. C’était la saison des foins. Je fais souvent mon démarchage en maniant fourche et râteau. En un mois Je ne ramène qu’un contrat ... Mon beau-frère l’a signé pour m’éviter la honte. Cela me permet surtout de conserver mon certificat de travail pendant encore quelques temps. J’apprendrai plus tard, qu’un employé de l’agence, muni des renseignements commerciaux que j’avais relevés, avait relancé mes clients après moi, avec succès.

Et puis l’Armée me propose un emploi d’agent contractuel de 3ème catégorie à la direction du Génie Rural, (Ministère de l’Agriculture et du Ravitaillement) à Vesoul. Je suis presque obligé d’accepter. Sur les recommandations du maire, Mr. Driot, je fais une déclaration de changement de résidence. Le 13 mai, Je prends le train à Gevingey pour arriver à Besançon à 19 heures. Mais je ne trouve pas de train pour Vesoul, la ligne n’a pas été réparée. Je couche dans la salle d’attente, et le lendemain matin je pars pour Belfort, pour arriver enfin à Vesoul vers midi. Je me présente à Mr Trémolière, directeur départemental, puis je cherche une chambre. Le lendemain Mr. Trémolière m’informe que je serai chargé de préparer les dossiers des cultivateurs et des artisans travaillant pour eux, qui sont exemptés du STO.

Le 4 juin il me remet un certificat précisant que " étant titulaire d’une fonction publique" je suis "dispensé du certificat de travail institué par le décret du 27 Mars 1943". Le samedi suivant, je me rends dans ma famille à Cesancey Départ Vesoul, passage par Belfort à 15 heures, Besançon 17 heures 30, et Mouchard où je reste en salle d’attente en attendant le départ du train à 2 heures du matin pour Lons où j'arrive à 4 heures.

Je rentre à Vesoul par le même trajet le lundi. Je vais porter à la préfecture les demandes d’exemption, signées par Mr. Trémolière. Le fonctionnaire qui me reçoit et à qui je décline mon identité, m’annonce que je figure sur la liste des requis. Trémolière m’avait déjà prévenu que je ne remplissais pas les conditions et que si j’étais désigné, il ne pourrait rien faire pour moi.

Je rentre dans ma chambre, récupère ma valise, paie mon "loyer", et je prends le train de Belfort. Toutes les places sont occupées par des sacs de pommes terre. Je comprends alors pourquoi la Haute Saône est baptisée "Haute Patate". A Besançon je passe à la direction régionale du Génie Rural. Trémolière a déjà rendu compte de mon absence. "c’est bien du Trémolière !" me souffle-t-on. On me demande mon adresse pour m’envoyer ma paie. Je refuse, évidemment et on me comprend. J’étais parti de Vesoul à 18 heures pour arriver à Lons le lendemain à 14 heures 30. A partir de ce moment j’étais considéré comme "réfractaire au Service du Travail Obligatoire" et donc susceptible d’être arrêté à tout moment. Il me fallait devenir clandestin.

Le secrétaire de mairie de Cesancey me fabrique alors une carte d’identité. Je suis Jean Alexis François CAILLON né le 14 mai 1919, domestique de culture à Neufchâteau. Caillon sonne un peu comme Guyon et les registres de Neufchâteau ont été détruits par un bombardement.
En plus de la carte d’identité il me remet, signés par le garde des communications de Lons le Saunier (der Sektorchef), en deux exemplaires, l’un en français, l’autre en allemand, un ordre de mission (wachauftrag), qui me "charge de la surveillance des voies ferrées", à titre de requis permanent ou temporaire, à partir de juin 1943 ,"m’ordonne de porter pendant mon service un brassard blanc, muni d’une bande bleue bien verticale et du cachet de la garde des communications", et m’autorise "autant que le service l’exige, à circuler sur les voies ferrées après l’heure du couvre-feu, à me servir d’une bicyclette la nuit et à porter un gourdin".

Cesancey

Le secrétaire de mairie savait arranger ces choses là. Il avait les imprimés et les cachets nécessaires. Il prenait des précautions. Tout au plus avais-je dû écrire moi-même ces documents. Par chance je n’eus jamais à les présenter.

Voici un petit souvenir : Bien que directeur de Génie Rural, Trémolière était soumis à cette garde. Les allemands exigeaient que chaque Kilomètre de voie ferrée soit en permanence, gardé par deux hommes choisis sur une liste dressée par le maire Mr Trémolière, son tour étant venu pendant mon cours séjour dans son service, m’avait demandé de le remplacer. Je savais dès lors, à quoi servait ce wachauftrag.

A Cesancey, les gendarmes de Beaufort sont venus deux fois pour me "cueillir". Ils arrivaient au lever du soleil, mais gentiment et sans zèle et surtout, en ayant pris la précaution de passer, la veille, autour de mon logement et même de questionner les voisins sans discrétion. De cette manière, j'avais la possibilité de prendre mes précautions et je savais que je devais aller dormir dans la paille dans une grange un peu éloignée. Le lendemain, ils réveillaient ma femme, qui les attendait, , montaient au grenier voir si j'y étais, puis s’en allaient répondre à leur hiérarchie : "G.G. n’a pas été vu à Césancey. On le dit encore 3 rue du presbytère à Vesoul" . Cela dura ainsi jusqu’au 12 juin 1944.

Entre temps j’étais devenu "terroriste".

Le Commandant Le Henry, que je connaissais, accompagné de Chevassus étaient venus m’embaucher. Ils voyageaient dans une voiture à gazogène conduite par un autre "terroriste". J’étais absent. Ma femme était venue me chercher en vélo. J’avais pris son vélo pour rentrer plus vite. Quand elle arriva, chez nous, à pied, une voisine lui dit "c’est le chef de la milice qui est chez vous, mon mari l’a reconnu viens vite te cacher ! ". Elle se trompait. Le Commandant le Henry arrivé dans une voiture noire comme celle utilisée par la milice, venait simplement me mettre à la disposition de Mr. Vandelle qui demeurait au château de Saint-Georges. Nous étions en décembre 1943.

Sten

Je me souviens d’avoir ouvert avec lui, dans sa cave, un colis contenant l’une des premières "Sten" dont se serviront les maquisards. Cette arme paraissait dangereuse pour ceux qui l'utiliserait et elle le fut.
J’avais moi-même, un énorme revolver qui sortait de je ne sais où et dont je ne me suis jamais servi. Un jour, un collègue me l’avait emprunté, "pour se défendre si besoin". Il partait placer un pain de plastic sur la voie ferrée près de Gevingey. Le train avait déraillé. Quand il vint me rendre mon arme, j’ai ouvert une bouteille de mousseux oubliée par notre propriétaire, dans notre cave. Elle datait de la grande guerre, celle de 1914, et son contenu était imbuvable.

Voici un autre souvenir, plus grave : Le 23 avril, Mr. Vandelle m’avait dit "J’attends un officier, en inspection dans le haut. Si je peux le toucher, je lui dirai de passer d’abord ici. Faites le attendre dans la maison inhabitée, en face de chez vous, et venez me voir". Personne n’est venu, mais deux jours après j’allais à Saint Georges. Le château brûlait et à quelques mètres de là, le corps du commandant Foucaud gisait dans les barbelés d’une clôture.
On m’avait chargé, avec l’équipe de Cesancey de creuser le dessous du pont "en Poncet", de la RN 83, pour qu’un autre "terroriste" puisse y glisser une boule de plastic, puis le faire sauter au passage d’un convoi allemand. Pendant huit jours, chaque soir, nous étions cinq à manier, à tour de rôle, un marteau et un burin, nos seuls outils. Nous devions nous méfier des passants, des bergers, et du père Coquet qui s’obstinait à ramasser des écrevisses, après le couvre-feu. Pour le convaincre de partir. L’un de nous se déguisa en milicien et se dirigea vers lui en criant "et le couvre-feu !!". Faute de réponse, il tira un coup de feu, en l’air. Cette fois le pêcheur sortit du ruisseau et se dirigea tout droit vers notre faux milicien en lui criant "J’ai fait 14, ce n’est pas un gamin comme toi qui va me faire peur". Notre camarade préféra capituler et le père Coquet, qui nous avait peut-être reconnus, ramassa ses écrevisses et rentra enfin chez lui.

Notre travail n’avançait pas. Le mineur vint cependant, plaça une poignée de plastic dans le petit trou que nous avions réussi à creuser et prépara le système qui devait faire sauter le pont. Puis il rentra chez lui car il pleuvait. Vers 5 heures il arriva ce qui devait arriver. L’eau avait créé le contact. Le résultat fut une petite détonation et un petit tas de gravier sur le goudron. Quand le technicien mineur revint au lever du jour, il ne put que s’étonner. A huit heures le convoi allemand attendu passa sans encombre. Le maire fit balayer le gravier. L’histoire, "le devoir de mémoire", ignorent cette opération ...

Cesancey

Vint le 6 juin, célèbre, et le 12, moins connu :

L'ordre est donné d’encercler la ville de Lons. Notre groupe se voit attribuer la RN 83. On sort les armes cachées sous le toit de l’église. On se rend sur le point indiqué : RN 83, un Km avant Messia, où l'on abat deux arbres pour barrer la route. On fixe le fusil mitrailleur et l'attente commence. Les allemands nous observent depuis Montciel. Ils viennent même nous narguer en auto, à 100 mètres et font demi-tour. Heureusement personne n’ose tirer.

Et le 15, contre-ordre ! Il s'agissait d'une erreur. Nous rentrons au village, arme à la main. Le lendemain, Un adjudant chef de l’armée de l’Air se déclare notre chef et nous emmène, par des sentiers à peine cachés, au château de Cressia, où Pigeon, le patron du maquis de Beaufort, a installé son P.C. .Peu avant ce château notre chef nous laisse en sous bois et part devant, se présenter à Pigeon. Une heure après il revient et nous ramène à Cesancey par les mêmes sentiers. Il aurait, nous dit-il, refusé d’installer son équipe dans cet immeuble que les allemands pouvaient bombarder depuis leur train blindé. (la vraie raison était plutôt un problème de hiérarchie). Les armes sont rangées dans leur cache sous le toit de l’église.

Cesancey

J’estime alors ma situation dangereuse puisque tout le village nous a vus. Avec un de mes beaux-frères je pars pour le maquis Vauthier où sont déjà beaucoup de lédoniens. A pied bien entendu, et par des raccourcis qui rallongent. Nous faisons étapes à Uxelles où un de mes oncles, handicapé, fait les foins. Plus sage que nous, il dit "Il va pleuvoir, c’est plus urgent de rentrer le foin que de jouer au petit soldat". Nous restons deux jours, rentrons trois voitures de foin et nous repartons. Ma tante avait exigé, à notre arrivée, que nous cachions nos musettes loin de la maison. Nous les avions cachées sous un saule au bord de la rivière, mais il avait plu dans la nuit et l’eau les avait emportées. Par Denézière, Val dessous, et Ménétrux nous arrivons à La Fruitière, chez Vauthier. Et là, ce sera plus sérieux.

Voici comment je suis devenu ancien réfractaire, ancien terroriste, et ancien maquisard, sans blessure (sinon d’amour propre) et sans gloire, mais avec un brin de mémoire ...


haut de page